lundi, 30 mai 2011 NouvelObs

Il n'y aurait donc plus de centrales nucléaires en activité en Allemagne dès 2022. Si le parlement allemand ratifie  cette décision gouvernementale comme c'est probable, l'Allemagne sera donc le troisième  pays en Europe après  l'Italie et très récemment la Suisse à  renoncer à l'atome civil comme moyen de production électrique.

En évoquant un  «  choix politique », Anne  Lauvergeon, la PDG  d'Areva, laisse entendre que l'idéologie a prévalu sur la technique. Ou du moins sur le réalisme économique. Dans un premier temps, Lauvergeon n'a pas tout à fait tort. Il est vraisemblable que le coût de l'électricité va se renchérir au-delà du Rhin. Et que l'énergie primaire que l'Allemagne ne produit pas, il lui faudra bien l'importer. Notamment le charbon extrait en Pologne où il y a fort à parier qu'on trinque ce jour béni  au champagne. Du gaz venant de Russie où l'ex chancelier  Schroeder, membre du Directoire du  groupe pétrolier russo-britannique TNK-BP, est bien placé pour arranger les contrats.

Ceux qui, dans l'immédiat,  ne rient pas du tout, ce sont les observateurs du réchauffement climatique. L'Europe qui utilisait 33% de charbon et 15% de gaz dans sa production électrique, va augmenter au moins dans un premier temps ses gaz à effet de serre qu'elle avait péniblement réussi à contenir.

Des arguments pour la plupart fondés et  qui vont être très relayés les jours prochains en France,  le pays qui compte trois géants industriels mondiaux  du Nucléaire : EDF, Areva et le groupe Suez.  Les partisans d'une sortie du nucléaire , en revanche , saluent  cette décision  au nom des risques à proprement parler incalculables qui pèsent sur les pays dotés de centrales et que pas  une société d'assurance au monde n'a jamais  accepté de couvrir. A l'Etat de se débrouiller comme aujourd'hui au Japon...

Voilà pour le face à face classique. Un face à face qui tétanise. Entre la peur panique et justifiée de Fukushima et celle de faire rissoler la planète tout en voyant sa note d'Edf exploser,  l'opinion ne sait  plus où donner de la tête. Certains pays comme la Suède, ont d'abord voté pour l'arrêt du nucléaire par référendum puis se sont ravisés pour trouver un  accommodement  avec le risque encouru  et leur conscience. Ils ont maintenu  et plafonné le recours aux centrales nucléaires qui produisent 40% de leur électricité mais ont décidé de n'utiliser que les énergies renouvelables pour les 60% restant.  Dans quelques années, ça sera fait.

Ce qui est sûr , c'est que  la plupart des grandes puissances nucléaires bougent sauf la France qui souhaite coûte  que coûte assurer le nucléaire de IV° génération, moins dangereux et plus économique, en faisant tenir  jusqu'à soixante ans son parc, vieillissant,  actuel. Si Jean-Marc Jancovici dans son dernier livre «  Changer le monde : tout un programme »  (Calmann lévy) a raison d'écrire  qu'il n'existe pas une alternative clé en mains de type renouvelable  au nucléaire, il sous-estime sans doute  ce que peuvent tenter et inventer des sociétés industrielles avancées quand elles sont le dos au mur. Les progrès sur la consommation des automobiles ou des batteries électriques en font foi.

Si l'amélioration de la performance énergétique  des bâtiments (3O% plus efficace en Allemagne qu'en France) , autrement dit l'électricité que nous ne consommons pas,  est l'un des principaux leviers, la séquestration de carbone des usines à Charbon et à gaz est aussi dans l'ordre du possible. Et la montée en puissance des énergies renouvelables ( Eolien offshore, Photovolaïque) articulée à des réseaux repensés technologiquement ( Smart grids),  peut assurer snas trop d'anormes difficultés  entre 20% et 40% de l'électricité totale.  Pas évident mais possible.  D'accord, nous sommes loin de la substitution intégrale du nucléaire surtout en France où prés de 80% ( une dépendance unique au monde),  du courant est issue des centrales.

Reste que  les couplages inventifs entre éolien, photovoltaïque et hydro-électricité  sont des chantiers  à portée de mains. Il s'agit d'utiliser le courant produit par les Energies renouvelables pour pomper  l'eau dans un bassin que l'on  transforme en barrage hydroélectrique. Il y a  déperdition de courant ?  Sans doute. Mais ça marche en Espagne ou au Portugal d'autant que l'électricité produite la nuit par les éoliennes est réutilisée le jour quand la demande est la plus forte. Pourquoi ne pas utiliser l'eau de mer sur quelques sites à falaises comme Flamanville ?

Le dos au mur, les ingénieurs inventent. Après tout c'est leur job. Trop cher ? L'argument fait de plus en plus long feu. Edf annonce un renchérissement continu du  prix du Kwh au fur et à mesure où il intègre pour de vrai le démantèlement du coût des centrales et celui de l'enfouissement. Et du fait de l'offre bientôt raréfiée des matières fossiles, le prix du Kwh monte partout. Le moment n'est pas loin où il va se croiser avec le coût du solaire et surtout de l'éolien .

 Le pire serait que nous ne puissions même pas imaginer en France une électricité sans nucléaire.  Car d'une certaine façon, Edf  et feu  le CEA ont pour d'excellentes raison de confort et de souveraineté nationale souhaité rendre ce choix irréversible. La France a mis tous ses œufs dans le même panier.  Le  coût financier d'un démantèlement de la filière nucléaire associé de manière simultanée  à une relance de fond en comble des filières alternatives serait sans doute hors de portée budgétaire.  Voir l'estimation de Alain Grandjean. Seule une transition lente ( sur un demi-siècle )  est possible que ni l'Elysée aujourd'hui, ni les principaux leaders des partis traditionnels, ni la CGT ne retiennent comme vraiment pertinents.

 A moins que, et c'est la thèse du prochain livre  («La vérité sur le Nucléaire") de Corinne Lepage dont le Nouvel Observateur donnera en exclusivité  les bonnes pages cette semaine, un Fukushima financier ne frappe la France du nucléaire. Edf et pire encore Areva, on ne le sait que peu, accusent  en effet une santé financière très dégradée. Et pour Areva, la prochaine note des Agences financières pourrait même se révéler meurtrière.  Si les français ont les yeux de Chimène pour Mr Proglio ou Madame Lauvergeon,  quand ils leur assurent les tarifs électriques  les moins chers d'Europe, il n'est pas certains qu'ils soient tendres quand ils comprendront que  c'est le contribuable qui paie toujours cash.

 Le même  contribuable a payé la R&D ( la recherche nucléaire ), il risque de devoir payer bientôt le démantèlement toujours non provisionné des vieilles centrales et l'enfouissement. Si en plus, il doit régler la facture des dettes pour renflouer les «  fleurons du nucléaire », ses bons sentiments atomiques pourraient virer au rouge.

 Or l'après Fukushima ouvre de ce point de vue une ère critique. Dans les pays « libéraux », le financement privé  des centrales devient  de plus en plus improbable. C'est vrai aux Etats-Unis, c'est encore vrai au Japon où les autorités viennent de renoncer à la relance d'une centrale flambant neuve,  ça risque d'être très dur en Grande Bretagne et c'est maintenant  impossible en Allemagne, en Italie ou en Suisse. L'Epr français sera-t-il en fin de compte le nouveau Rafale de l'Industrie Française.  Après les deux exemplaires  de Finlande et de Chine, qui est encore preneur ? Dans ce marché que l'on promettait en pleine renaissance et qui pique du nez, voir se casse la figure comme en Europe,  qui paiera les invendus  ?

Cette hypothèse, personne ne voulait la poser pour les  présidentielles de 2012  alors  que tout le personnel politique savait que c'est pendant ce quinquennat qu'il faudrait  arbitrer sur notre modèle énergétique. Qui'il fallait dire oui ou non au remplacement des centrales vieillis. Qu'il fallait ou non accélérer le programme IV° génération. Qu'il fallait  ou non continuer  à miser sur le tout nucléaire. C'était «  Chut Silence ». Le fracas de Fukushima a tout changé.

Puisque, les  Allemands et les Suisses se retirent de l'atome, les français peuvent toujours espérer en profiter une  ou deux décennies pour vendre de l'électricité nucléaire à ses voisins.  Pas si sûr car en période de pointe, l'hiver,  nous importons  des kwh allemands très charbonneux. Pire : issus de la lignite ! Mais après cet effet d'aubaine,  quel avenir ? quel marché pour  nos centrales ? Quelle ardoise ?

Guillaume Malaurie