25/05/11 Nouvel Obs

Le sommet du G8 doit examiner l’avenir de l’énergie nucléaire après la catastrophe de Fukushima. Pourquoi avoir mis ce dossier au menu ?

- A ma connaissance, c’est Nicolas Sarkozy qui a persuadé le Premier ministre japonais de soulever ou de relayer ce dossier, d’autant que l’Allemagne n’est plus du tout raccord avec la ligne française.  L’idée, c’est de réhabiliter le projet nucléaire, déjà fragilisé avant Fukushima et terriblement ébranlé depuis. Non pas seulement dans l’opinion, mais dans ses fondements économiques et financiers.

Le gouvernement japonais vient pourtant de réaffirmer l’option nucléaire.

- Ce que dit le Premier Ministre japonais ne rend pas compte de l’exacte réalité de ce qui se passe aujourd’hui au Japon. Rendez vous compte que onze réacteurs sont aujourd’hui à l’arrêt dans l’archipel. Dont trois depuis 2007. Et l’abandon récent, le 9 mai dernier, de la remise   en marche des deux premières tranches de la centrale de Hamaoka est encore plus emblématique du doute qui saisit le japon sur l’atome. Car il ne s’agit pas là de vielles casseroles de type Fukushima construites entre 1971 et 1974. A Hamaoka, on parle notamment d’un réacteur  flambant neuf mis en service en 2005 !  Son abandon s’explique notamment  par l’incapacité financière de l’opérateur, Chubu Electric, à satisfaire les nouvelles  normes sismiques… Du coup, le Premier ministre Naoto Kan a préféré jeté l’éponge.

Du côté américain, vous percevez les mêmes doutes…

- Pas dans les déclarations gouvernementales qui continuent de soutenir le programme nucléaire. Mais il faut y regarder de plus près. Washington a mis sur la table 18, 5 Milliards de dollars pour garantir sur le long terme les crédits de la filière. Or, à peine 8,5  Milliards ont été utilisés. Depuis cinq ans, on ne trouve plus de projet outre-atlantique. Pire : le South Texas Project (STP) qui était le projet le plus avancé, a été abandonné…

Et pourquoi ?

- Mais toujours pour la même raison : le risque financier est de plus en plus insurmontable ! Le  temps où les Banques semi-publiques allemandes consentaient des crédits à 2,6% d’intérêt à la filière nucléaire est révolu. Il suffit de voir d’ailleurs, en France, la situation d’Areva pour comprendre. Les agences de notation sont de plus en plus sévères et menacent d’abaisser leurs notes à des niveaux extrêmement critiques. Si vous ne regardez que la notation sur la santé de la société Areva et non pas la moyenne cumulée avec la "note de contexte" qui prend en compte la garantie de l’Etat français, vous verrez qu’il y a grand péril pour le fleuron industriel français. Et ce n’est pas la recapitalisation bancale et mineure de décembre dernier qui trompe les milieux financiers. Je n’hésite pas à évoquer un risque de Fukushima financier.

Vous êtes vous-même un consultant indépendant et vous constatez que depuis la catastrophe nippone, des fonds d’investissement de première importance viennent rejoindre votre clientèle…`

- Oui, tout à fait, et j’ai été le premier surpris. Ces fonds ont manifestement perdu leurs points de repère après Fukushima. Ils constatent que les risques pris sur cette filière sont très lourds. Alors ils veulent savoir jusqu’à quel point ils peuvent encore s’engager ou se replier.  Songez tout de même qu’Areva vient d’abandonner sine die son programme nucléaire aux Etats-Unis, qu’EDF s’est inscrit en perte pour 1 Milliard de dollars, toujours aux Etats Unis.

Et pourtant, on évoquait, il y a peu encore, un nouvel âge d’or du nucléaire avec les marchés chinois ou indiens et le renouvellement du parc britannique, devenu obsolète…

- "On", c’est qui ? Le premier constat, c’est que l’Europe sort à bas bruit du nucléaire depuis vingt ans. L’année record pour le nombre de réacteurs en service, c’est 1989. Il y en avait 177. Ensuite, c’est la décrue. On en est aujourd’hui à 143. Le désengagement allemand (7+1 réacteurs qui ont été mis à l’arrêt) ne peut qu’accuser la tendance. Et il est douteux que la construction de deux EPR (le  finlandais et celui de Flamanville en France) permettront de remonter la pente. Quant à la Grande Bretagne, je demande à voir où elle va trouver l’argent - et surtout  à quel tarif sur le marché financier - pour faire face au renouvellement de ses centrales.

Reste que les chinois continuent leur programme nucléaire. A commencer par l’EPR  construit par EDF…

- Il est exact que 27 des 60 réacteurs en construction sont en Chine. Mais  notez bien que Pékin a été l’une des capitales a réagir le plus vite après Fukushima. Tous les projets ont d’abord été gelés et des audits internes ont été engagés sur l’ensemble des centrales en construction ou en activité. Le plus important est ailleurs. L’effort chinois est considérable sur les énergies renouvelables. Vous saviez que la Chine produit dès cette année plus d’électricité d’origine éolienne que ne lui fournit son parc nucléaire ? Et je n’évoque même pas le programme photovoltaïque…

Pourtant, si l'on en croit deux hommes politiques de premier plan comme Michel Rocard et Alain Juppé, ("La politique, telle qu'elle meurt de ne pas être", éditions JC Lattès, par Bernard Guetta), l'espoir des réacteurs de 4e génération reste intact dans la classe politique française...

 - C'est effectivement la stratégie de l'industrie nucléaire française et des XMines qui inspirent les hommes politiques de ce pays. Pour eux les chantier des EPR, sont seulement un moyen transitoire de maintenir un niveau de compétence crédible. Le projet, c’est bien de faire vieillir les centrales en service, celles de la seconde génération, jusqu’à soixante ans. Puis de passer directement à la quatrième génération. Le seule argument fort serait celui de la lutte contre le réchauffement. Sauf que ce programme ne débouchera au mieux qu’en 2040 et qu’à ce moment là, soit l’humanité aura gagné la partie sur le réchauffement, soit elle l’aura déjà perdue…

Vous n’attendez donc pas grand chose du G8 à Deauville sur le nucléaire ?

- Il est rare que le G8 ou le G20 soient des lieux ou se prennent des décisions industrielles. Je pense qu’il s’agit d’avantage d’une tentative de redorer un blason industriel très dégradé par Fukushima.

Propos recueillis par Guillaume Malaurie - Le Nouvel Observateur

Mycle Schneider est consultant indépendant et dirige WISE-Paris (World Information Service on Energy), une agence d’information et d’études basée à Paris et proche du mouvement antinuléaire. Il vient de publier avec Antony Froggatt, consultant indépendant, et Steve Thomas, professeur de politique énergétique à l’Université de Greenwich, "Le Pouvoir Nucléaire dans le monde de l’après Fukushima".

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