Laurent Pinsolle - Blogueur associé Marianne Jeudi 12 Mai 2011
C’est le cœur du nouveau livre de Jacques Sapir : produire une analyse critique systémique de la mondialisation, recoupant commerce, monnaie et finance, afin de proposer une alternative complète.
L’économiste commence par une analyse des limites de la libéralisation
commerciale. Il tord le cou à plusieurs mythes, soulignant que « c’est
au contraire la croissance dans les principaux pays qui tire le commerce »,
comme l’a montré a contrario 2009. Il note aussi qu’il y a beaucoup d’effets
d’optique, entre la montée considérable du prix des matières premières, ou la
spécialisation qui fait progresser commerce et PIB sans forcément faire
progresser le bien-être.
En évoquant les pays asiatiques, il souligne que « la globalisation
marchande ne donne des résultats que dans la mesure où l’on ne joue pas son jeu
mais où d’autres acceptent de le jouer». Il montre également que les
modèles qui chiffrent les bénéfices de la libéralisation aboutissent à des
estimations limitées, et ne bénéficiant qu’à la Chine (d’où l’échec de Doha)…
En outre, la libéralisation de l’agriculture aboutit à une instabilité qui se
révèle dévastatrice.
Il dénonce « les mesures destinées à faire baisser la part des salaires
(qui passent) pour une sorte de loi de la nature ». Il en souligne
tous les méfaits : effondrement de la part des salaires dans le PIB (10 points
depuis 30 ans), hausse du chômage, explosion des inégalités : les salaires
stagnent, à part en haut de la pyramide, où ils explosent (plus de 20% des
revenus pour 1% de la population contre 9% il y a trente ans aux Etats-Unis, la
France restant plus égalitaire).
Il insiste sur le décrochage entre gains de productivité et hausses de salaire
et le fait que la hausse du salaire moyen (12% de 1996 à 2006) camoufle la
stagnation du salaire médian (+4%). Enfin, il distingue deux types de
délocalisations, les directes et les indirectes (quand on produit un nouveau
modèle ailleurs), qui ont permis de transférer 30% de la production automobile
française. En y ajoutant l’effet dépressif induit, il estime qu’on peut leur
attribuer au moins 50% du niveau du chômage.
Puis, Jacques Sapir analyse la globalisation financière. Il dénonce la part
grandissante des profits financiers, passés de 10% dans les années 1950 à près
de 40% aujourd’hui, et même 50% en prenant la part des profits financiers
réalisés par les entreprises non financières (automobile, General Electric). Il
souligne l’explosion des produits dérivés, passés de 1 500 milliards en 2002 à
46 000 milliards en 2007 et l’opacité du système dont seul le système financier
profite véritablement.
Il souligne le rôle de la libéralisation des mouvements de capitaux dans les
crises des pays émergents des années 1990 puisque leur entrée désordonnée fait
monter le cours de la monnaie, créant un déficit commercial, poussant alors les
capitaux à fuir. Le problème est que le FMI a alors imposé des politiques extrêmement
dures, poussant les pays asiatiques à accumuler des réserves de change
colossales pour se protéger du FMI, et donc à développer les exportations.
L’auteur revient également assez longuement sur l’euro, qui contribue à
l’atonie économique de l’Europe. Pour lui, « parce qu’elle est unique,
la politique monétaire ne peut plus prendre en compte la diversité des
situations » et explique les bulles espagnoles et irlandaises. Pour
lui, les plans actuels ne font que faire durer la situation car rien « ne
peut remédier aux déficiences structurelles d’une monnaie unique sur une zone
dont l’hétérogénéité économique ne fait que croître ».
Ce livre présente sans doute la meilleure analyse d’ensemble en faveur d’une démondialisation
systémique et d’un plus grand dirigisme afin que le progrès économique profite
à tous et pas seulement à quelques uns. En ce sens, il est parfaitement
indispensable.
Lire également « " La démondialisation" de
Sapir, vers une économie alternative».
Source : « La démondialisation », Jacques Sapir, collection «
Economie humaine», Seuil