Face à la crise systémique à laquelle nous sommes confrontés, la réponse ne peut être que républicaine et écologique. En effet, parallèlement à la construction du changement, la reconquête de l’identité républicaine est la réponse aux difficultés de notre temps. La République rassemble autour de ce qui constitue notre socle commun. Ce rassemblement se fait d’abord en redonnant aux principes républicains un sens et un contenu en adéquation avec les temps présents :

o    la liberté, tout d’abord, qu’il convient de rappeler inlassablement. Au sens de l’article 4 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, elle consiste à faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Elle n’est donc pas l’individualisme forcené, l’égoïsme ignorant les conséquences de ses actes sur autrui, le terme d’ »autrui » s’appliquant de manière générique à ceux d’aujourd’hui et de demain, d’ici et d’ailleurs. Toute liberté ne peut s’exercer que dans le respect de celle des autres, à valeur égale, ce qui signifie qu’elle implique nécessairement la solidarité, le temps long, et le juste partage.

o    l’égalité, largement à la dérive, même sous sa forme affaiblie d’équité. Dans une société où l’inégalité des revenus est considérée comme un facteur de croissance générale, il va de soi que l’égalité devient un obstacle au néolibéralisme. Les inégalités des chances, de l’école, de l’accès au travail, de la fiscalité, du logement, de l’accès aux soins et à une bonne santé sont devenues une donnée réelle de notre société. Mais il s’agit aussi de l’égalité de tous devant la loi, ce qui implique non seulement de revenir à une justice à une seule vitesse, mais encore d’engager de manière réelle et efficace la lutte contre les conflits d’intérêts et la corruption, qui ne sont jamais que des transgressions de la loi.

o    la fraternité, tout aussi malmenée que l’égalité dans notre devise. Et pourtant, face aux drames humanitaires, d’Haïti à Fukushima, l’appartenance à une même communauté humaine est une évidence. Elle nous invite à retrouver le sens de l’empathie et du partage car d’autres drames moins collectifs mais tout aussi dignes de solidarité parcourent notre société.

o    La laïcité enfin. Il importe d’être le principe le plus fort de la République pour permettre à chacun d’être ce qu’il veut dans la paix civile et la neutralité de l’espace public. C’est la condition d’une réelle égalité entre les hommes et les femmes mais aussi de la suprématie de l’individu sur le groupe. La République ne peut admettre le communautarisme ou le multiculturalisme, même si elle permet la diversité et constitue la condition d’un vécu serein de cette diversité. Le droit à l’indifférence, c’est-à-dire à être dans la sphère publique ‘un citoyen à part égale avec tous les autres’, est essentiel, et cela bien plus que le droit à la différence qui est souvent source d’inégalités et de discriminations, voire davantage.

C’est la combinaison de ces quatre éléments et leur équilibre qui façonnent l’identité républicaine, refusant le culte de l’égoïsme individualiste, de la croissance des inégalités comme facteur de progrès économique ou du multiculturalisme tue les structures publiques au bénéfice des structures privées et confessionnelles.

Mais l’identité républicaine est aussi un « apport français unique à l’universel ». La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen n’est pas la déclaration des droits de l’homme et du citoyen français. Elle porte une vision de l’homme dans la société, des rapports de force et des valeurs qui permettent l’expression de sa dignité.

Cette vision est particulièrement nécessaire à la construction européenne. L’Europe ne s’oppose pas aux nations. Elle leur permet de se maintenir dans un contexte mondialisé et de peser sur les plans économiques et politiques, comme sur le plan des valeurs, dans un monde où s’affrontent des visions antagonistes. La conception républicaine et la conception anglo-saxonne offrent effectivement deux voies. De leur synthèse au niveau européen peut naître un ensemble équilibré alliant les bases de l’idéal républicain et l’efficacité anglo-saxonne. L’intégration de la Déclaration des droits de l’homme – telle qu’elle est appliquée par la Cour Européenne des droits de l’homme – au corpus juridique européen constitue incontestablement un progrès dans ce sens.

Car la République ne peut être le renfermement sur soi, le retour utopique en arrière ou l’illusion d’une fermeture des frontières. Cette conception traduit un manque de confiance en soi et dans les autres. L’Europe doit être l’affirmation d’une véritable confiance dans un projet commun qui porte des valeurs républicaines, même si des royaumes constitutionnels demeurent au sein de l’espace européen.
Mais n’oublions jamais que la Déclaration des droits de l’homme a une valeur universelle et qu’à ce titre elle doit rester au fondement de la construction d’un monde viable et vivable. Réellement appliquée, elle permettrait de redéfinir un vivre-ensemble au niveau planétaire. Dans ce vibrant ensemble, les valeurs républicaines offrent une véritable réponse aux enjeux écologiques, aux dérives du capitalisme financier et aux inégalités flagrantes de développement. Elles devraient servir de fil d’Ariane pour passer de la menace de l’effondrement décrit par Jiared Diamond à l’espoir d’une réponse commune, juste et digne aux défis auxquels l’humanité est aujourd’hui confrontée.

Les valeurs de la République doivent nous permettre de fonder un changement de modèle de développement qui assure l’équilibre entre la liberté, l’égalité et la fraternité. C’est à ce titre que nous pourrons, avec Georges Steiner, « rendre la maison plus belle en sortant que nous ne l’avons trouvée en entrant ».