Pour l'AIRE, si le Revenu d'Existence semble n'apporter qu'un modeste supplément de revenu à une faible tranche de la population, il initie pourtant l'une des réformes de société les plus essentielles à plus d'un titre. En effet :

  • Il modifie de façon radicale la distribution primaire des revenus. Une part de l'ordre de 15% à 20% du PIB est distribuée à chacun, du seul fait de son existence, sans autre justification. C'est une réforme fondamentale dans l'organisation des transferts sociaux.
  • De par sa simplicité et sa transparence il évite tout passe-droit, limite la bureaucratie, met fin au maquis inextricable des diverses aides à la personne.
  • Il ne constitue en aucune manière une désincitation au travail puisque, à l'inverse des minima sociaux actuels, toute activité rémunérée procure un revenu supplémentaire.
  • Il donne à chacun l'assurance d'un revenu minimum garanti, en toutes circonstances, quels que soient les aléas de la vie, à une époque où le plein emploi ne peut être assuré tout au long de la vie.
  • Dans les circonstances présentes, en ce début du 21ème siècle, l'instauration du Revenu d'Existence s'impose tant pour des raisons sociales qu'économiques.

http://revenudexistence.org/

Voir l'article de Marianne avec France Inter, la chronique de Bernard Maris, journaliste et écrivain. http://www.marianne2.fr/Un-revenu-minimum-d-existence-sinon-rien_a175738.html

Voir ci dessous l'article de Chantal Euzeby dans le Monde Diplomatique :

http://www.monde-diplomatique.fr/1998/04/EUZEBY/10254

Dossier : « IMAGINER UNE AUTRE SOCIÉTÉ »

Pistes pour une révolution tranquille du travail

LE désastre du chômage massif, avec la multiplication des emplois précaires, l’aggravation des inégalités, l’instabilité croissante des familles, menace la cohésion même de la société. Il remet en cause les systèmes de protection sociale construits en fonction du plein emploi, du travail à plein temps et de la famille stable. Pour faire face à ces défis, les libéraux avancent le principe « Pas de droits sans obligation de travail » et entendent limiter la protection sociale aux personnes nécessiteuses. A l’opposé, on trouve les partisans d’un revenu de base inconditionnel pour tous (1), encore appelé « revenu d’existence » par Yoland Bresson et René Passet ; « allocation universelle » par Philippe Van Parijs ; ou « revenu de citoyenneté » par Jean-Marc Ferry. Ce revenu serait octroyé à tout individu dès sa naissance, sans aucune condition de statut familial ou professionnel, le principe étant que l’on aurait droit à un minimum de ressources parce qu’on existe, et non pour exister.

Une troisième voie se dessine chez les signataires de l’Appel européen pour une citoyenneté et une économie plurielles (AECEP), avec notamment la proposition, par Alain Caillé, d’un revenu minimum d’insertion (RMI) bis « à conditionnalité faible » (2), ou l’idée, exposée plus loin, d’un socle de droits minimaux déconnectés du travail.

L’idée du droit à un revenu de base indépendant du travail a été avancée dès la fin du XVIIIe siècle par Thomas Paine, journaliste et pamphlétaire américain devenu citoyen français et député à la Convention, qui considérait que l’appropriation de la terre par les uns justifiait l’octroi aux autres des moyens de subsister. Depuis, elle a notamment été reprise par Jacques Duboin, dans les années 30 en France, et par le cercle Charles-Fourier au début des annnés 80 en Belgique. Elle est aujourd’hui défendue par le courant des « distributistes » dans le sillage de Jacques Duboin (3), par l’Association pour l’instauration du revenu d’existence (AIRE) (4), elle-même affiliée au réseau européen du Basic Income European Network (BIEN), ainsi que par des partis ou groupements divers dans plusieurs pays.

C’est notamment le cas des Verts en Allemagne, aux Pays- Bas et, plus récemment, en Espagne, où les militants de Castille et Léon ont rédigé, en 1997, une proposition de loi contre l’exclusion sociale incorporant un « revenu de citoyenneté ». En Irlande, la commission pour la justice de la Conférence épiscopale (CORI) vient également de diffuser un document, Surfing the Income Net, proposant un revenu de base inconditionnel pour tous (5).

Les partisans de cette formule considèrent que la capacité productive d’une société est le résultat de tout le savoir scientifique et technique accumulé par les générations passées. Aussi les fruits de ce patrimoine commun doivent-ils profiter à l’ensemble des individus, sous la forme d’un revenu de base inconditionnel. Celui-ci serait cumulable avec les revenus d’activité et se substituerait, en totalité ou en partie, selon les auteurs, aux transferts sociaux dont bénéficient les ménages : minima sociaux (dont le RMI), autres prestations d’aide sociale, prestations familiales, bourses d’études, subventions aux agriculteurs, etc.

Le revenu d’existence offrirait trois types d’avantages. Sur le plan de l’efficacité redistributive, il rendrait le système social plus simple, moins coûteux à gérer, moins stigmatisant pour les personnes assistées - par la suppression des contrôles de ressources - et plus efficace pour lutter contre la pauvreté absolue. La formule serait, par ailleurs, mieux adaptée à l’instabilité familiale, puisqu’il s’agirait d’un droit propre attaché à la personne, et non pas au foyer fiscal, comme dans les cas de l’impôt négatif ou du RMI.

Du côté du marché du travail , dans la mesure où elle donnerait aux individus la possibilité de ne pas travailler, de travailler moins ou de se retirer temporairement ou durablement de leur emploi, cette formule réduirait l’offre de main-d’oeuvre et rendrait les activités rémunérées intermittentes plus attirantes pour les ménages, comme pour les entreprises. Du fait de la garantie offerte, les chômeurs et les salariés désireux de changer de métier seraient davantage incités à se mettre à leur compte, voire à embaucher à leur tour.

Chacun pourrait en profiter pour se former ou se recycler, pour prendre des congés sabbatiques afin d’expérimenter d’autres activités professionnelles, ou pour s’occuper de ses enfants ou de ses parents âgés ou malades, ce qui économiserait prestations et services sociaux. L’Etat pourrait également utiliser cette allocation comme instrument de compensation salariale dans la mise en place de la réduction du temps de travail. En bref, comme l’écrit André Gorz, cette allocation universelle serait « le meilleur levier pour redistribuer aussi largement que possible à la fois le travail rémunéré et les activités non rémunérées (6) ».

Si l’on se place du point de vue de la société et de son organisation, le revenu d’existence changerait les comportements et les valeurs. Les services d’utilité sociale et les activités culturelles, sportives et d’intérêt public ainsi valorisés pourraient se développer sous diverses formes : bénévolat, autofourniture de services, assistance aux parents âgés ou dépendants, soutien scolaire aux enfants en difficulté, entretien des paysages, etc. Le partage des responsabilités familiales et domestiques au sein des couples pourrait être plus équilibré. L’emploi cessant d’être l’unique facteur d’intégration, la voie serait ouverte à une société de pleine activité ou de multiactivité.

Une société dominée par l’instabilité

LES principales critiques et interrogations portent sur le niveau du revenu offert. Si celui-ci est bas, afin d’en limiter le coût financier, les effets positifs attendus risquent de ne pas être très sensibles. Les personnes peu ou pas qualifiées seront alors obligées d’accepter des emplois au rabais ou, à défaut, de se contenter de leur maigre prestation. D’où les risques de dualisation de la société - persistants ou aggravés - habituellement invoqués par les détracteurs de l’allocation universelle. En revanche, si, pour permettre de vrais choix, son montant est suffisamment élevé - de l’ordre du Smic -, le dispositif incite à délaisser le travail, ce qui rend son surcoût vite prohibitif et freinera l’innovation et le dynamisme économique.

Les montants actuellement proposés se situent entre 1 500 F et 2 000 F par mois avec, parfois, une différenciation selon l’âge. Le coût net à financer, après redéploiement des transferts sociaux et prise en compte des économies réalisées, serait de l’ordre de 250 milliards de francs par an pour Yoland Bresson, avec étalement sur cinq ans de la mise en place du système et recours à l’emprunt (7). Il serait un peu plus élevé dans l’évaluation de René Passet (8) ou la nôtre : de 280 à 320 milliards, soit environ 4,5 % du produit intérieur brut (PIB). Des sommes qui n’ont rien d’exorbitant, mais qui apparaissent néanmoins très difficiles à mobiliser si les politiques se plient aux contraintes de la monnaie unique, l’euro.

Autre argument souvent invoqué : le caractère injuste de l’inconditionnalité. Verser un revenu de base à tous, y compris aux plus riches, ne tombe pas sous le sens. Mais la progressivité de l’impôt sur le revenu, si elle était réellement mise en oeuvre, aurait pour effet de reprendre aux privilégiés une grande partie ou la totalité de leur allocation. C’est pourquoi le véritable problème est bien celui de la réforme de cet impôt, et de son articulation avec d’autres recettes fiscales : contribution sociale généralisée (CSG), écotaxe, impôt sur les revenus financiers et sur le capital, etc. Une réforme que les gouvernements successifs estiment toujours urgent de remettre à plus tard.

C’est la raison pour laquelle, dans l’immédiat, il peut sembler plus réaliste et moins coûteux de commencer par réformer le RMI et instaurer un socle de droits minimaux universels. Alain Caillé propose un RMI bis, sans contrat d’insertion, automatiquement accordé aux personnes ne disposant pas de l’équivalent d’un demi-SMIC, et cumulable de plein droit avec d’autres ressources, elles-mêmes soumises à l’imposition sur le revenu. Son octroi ne serait plus lié à une démarche de recherche d’emploi, mais l’incitation à la reprise d’une activité professionnelle serait bien plus efficace que dans le dispositif actuel (où le cumul est seulement autorisé dans la limite de 750 heures de travail), puisque la prestation serait dégressive en fonction des revenus gagnés, comme dans le système de l’impôt négatif.

Le « piège » de l’assistance, constaté chez certaines catégories de ménages - couples avec deux enfants, bénéficiaires d’un RMI dont le montant, majoré des prestations familiales, est proche du SMIC -, serait en grande partie évité. Le coût pour les finances publiques serait certainement supérieur au montant des minima sociaux actuels, mais bien inférieur aux estimations du revenu d’existence indiquées plus haut. Le principal problème serait l’extension du travail au noir, qui deviendrait plus attractif, surtout au voisinage du seuil d’exclusion, et donc plus difficile et coûteux à contrôler.

Le RMI, dans sa forme originelle, a été la dernière pièce ajoutée à un système conçu pour l’ère industrielle. Il a vécu. Il doit s’adapter à la société postindustrielle et à l’évolution des moeurs, au même titre que d’autres minima (actuels ou à créer). Il faut redonner de la sécurité dans une société dominée par l’instabilité, et donc redéfinir les droits sociaux en fonction des nouveaux besoins - emplois intermittents, congés sabbatiques ou de formation, télétravail, polyactivité, statuts mixtes - et adapter les modalités de financement des prestations qui en découlent. C’est là que se situent les vrais enjeux de la réforme de la protection sociale.

Le couplage assistance-insertion, qui avait un sens au moment de la création du RMI - la croissance avait atteint plus de 4 % dans les années 1988-1989 et son contenu en emplois était encore assez fort - n’en a plus guère dans un contexte où l’offre d’emplois est trop limitée. Beaucoup de contrats d’insertion sont dépourvus de contenu réel (stages parking) afin de pérenniser le versement de la prestation. Il convient donc de supprimer le contrat d’insertion, d’espacer le contrôle des ressources, d’ouvrir le RMI aux jeunes de dix- huit à vingt-cinq ans (ce que refuse pour l’instant le gouvernement français), et d’y incorporer des modalités d’incitation à la (re)prise d’une activité, comme le prévoit d’ailleurs le projet de loi contre l’exclusion présenté par Mme Martine Aubry, la ministre de l’emploi et de la solidarité.

Le contrat d’insertion devrait être remplacé par le contrat d’activité, tel qu’il est proposé par le rapport Boissonnat (9). D’une durée de cinq ans au moins, il serait passé entre un travailleur et une personne morale regroupant des entreprises, des organismes publics ou des associations. Ce qui offrirait la possibilité d’alterner, ou de combiner, sur une certaine durée, divers statuts ou activités : emploi salarié, stage, travaux d’utilité sociale.

Pour le reste de la couverture sociale, deux adaptations sont prioritaires. D’abord la substitution de droits propres aux actuels droits dérivés (extension des droits de l’assuré aux ayants droit, conjoint inactif et enfants). On sait que les familles monoparentales sont partout surreprésentées dans les dispositifs d’aide sociale, et que les désunions se traduisent en général par la perte de la couverture médicale des conjoints inactifs (au bout d’un an en France). Avec les recompositions familiales, les mariages successifs et la multiplication des divorces et des séparations, l’octroi des pensions de retraite et de survivants est devenu un véritable casse-tête pour les administrations et les personnes concernées. Sans parler des cas, encore plus complexes, où l’un des conjoints (ou ex-conjoint) est étranger. Le passage à des droits propres, indépendants du statut familial et de l’activité professionnelle, pour les soins médicaux et les pensions de vieillesse, s’impose désormais, tant pour des raisons morales qu’économiques. En matière de soins, le projet de loi contre l’exclusion présenté par Mme Martine Aubry envisage effectivement, et on s’en félicitera, une couverture maladie universelle (CMU).

Quant aux retraites, cela impliquerait, en s’inspirant des modèles danois, néerlandais et finlandais, un système à trois piliers : une pension minimale forfaitaire pour tous dans les régimes de retraite (premier pilier, éventuellement majoré pour les personnes âgées dépendantes), à laquelle s’ajouteraient les droits acquis par la personne et son conjoint en fonction du travail (deuxième pilier obligatoire), ainsi que ceux accumulés dans le cadre de régimes privés facultatifs (troisième pilier). Cette restructuration des régimes de retraite, qui devrait être généralisée à l’ensemble de l’Union européenne pour faciliter la mobilité des actifs, garantirait à chacun un minimum de ressources pour ses vieux jours. Ainsi sécurisés, les actifs occupés accepteraient plus facilement de « faire de la place » aux chômeurs, de suspendre leur activité professionnelle ou d’occuper des emplois instables ou à temps réduit.

Deuxième priorité : la protection minimale des travailleurs indépendants, catégorie non couverte contre les risques de chômage, d’accidents du travail et les maladies professionnelles. Leurs statuts et leurs conditions de travail sont désormais aussi fragiles que ceux de leurs homologues salariés. Leur ouvrir le droit à l’indemnisation du chômage, sur une base forfaitaire et pour une durée limitée (six mois, par exemple), leur donnerait une sorte de droit à l’échec : cela serait à la fois juste et favorable à l’emploi, les chômeurs et les salariés précaires étant ainsi incités à se mettre à leur compte et à embaucher à leur tour.

Avec la réduction du temps de travail (lire, ci-dessous, les articles de Jean-Paul Maréchal et de Michel Husson), ces diverses mesures contribueraient au nécessaire rééquilibrage entre solidarité professionnelle et solidarité nationale. Un premier pas, parmi d’autres tout aussi indispensables (réforme du code du travail, rénovation syndicale, restructuration des divers niveaux d’intervention publique), pour aller vers une distribution des revenus et des emplois digne d’une société civilisée.

Chantal Euzeby.

(1) Pour une présentation des diverses conceptions et des controverses sur le revenu d’existence, lire, notamment, la livraison « Vers un revenu minimum inconditionnel ? » de la Revue du Mauss, no 7, premier semestre 1996 ; le numéro spécial « Pour ou contre le revenu minimum ? » de Futuribles, no 184, février 1994 ; Chantal Euzéby, Le Revenu minimum garanti, La Découverte, coll. « Repères », Paris, 1991. La revue Transversales Sciences Cultures a également publié de nombreuses études sur ce sujet.

(2) Alain Caillé, in Guy Aznar, Alain Caillé, Jean-Louis Laville, Jacques Robin, Roger Sue, Vers une économie plurielle, Syros, Paris, 1997.

(3) Les thèses de l’économie distributive de Jacques Duboin continuent à être explorées dans la revue mensuelle La Grande Relève (BP 108, 75115 Le Vésinet Cedex).

(4) AIRE publie un bulletin de liaison trimestriel (Mme Bernard, 33, avenue des Fauvettes, 91440 Bures-sur-Yvette).

(5) On trouvera la traduction de ce document dans le Bulletin de liaison no 17, hiver 1998, de l’association AIRE.

(6) André Gorz, Misères du présent, richesse du possible, Galilée, Paris, 1997. Lire le compte rendu de cet ouvrage dans Le Monde diplomatique de novembre 1997.

(7) Yoland Bresson, Le Partage du temps et des revenus, Economica, Paris, 1994. Lire également son article « Instaurer un revenu d’existence contre l’exclusion » dans Le Monde diplomatique, février 1994.

(8) René Passet, « Sur les voies du partage », Le Monde diplomatique, mars 1993.

(9) Jean Boissonnat, Le Travail dans vingt ans : le rapport de la commission présidée par Jean Boissonnat, Commissariat général du Plan, Odile Jacob (en collaboration avec la Documentation française), Paris, 1995.