Il s’agissait déjà d’un séisme. Politique celui là. Le 30 août 2009, le parti démocrate japonais inflige une défaite historique au parti libéral démocrate au pouvoir presque sans interruption depuis 1955.


Un changement d’horizon politique largement dû à la crise sociale traversée par l’Archipel. Avec plus de 3,5 millions de chômeurs –chiffre officiel, bien supérieur en réalité-, le Japon atteignait un record historique depuis l’après guerre. 
Sans compter les affaires, les accusations de népotisme dénoncées par l’opinion. Les élites politiques connaissent une crise de représentativité qui dépasse les clivages des partis. Les problèmes liés à l'existence de véritables dynasties d'élus (la majorité des ministres japonais sont fils et parfois petit-fils d'élus) et à la représentativité de plus en plus faible des élites politiques se sont généralisés, malgré les espoirs placés dans l'alternance.

Le soir de sa victoire, le chef du parti démocrate Yukio Hatoyama, lui-même issue de l’aristocratie japonaise, évoque une « mission historique ». Il annoncera sa démission 10 mois plus tard suite à un scandale financier touchant certains de ses collaborateurs accusés de financement occulte de son fonds de soutien. La mission est mal engagée.
 
C’est ainsi que va le Japon, au rythme de son instabilité politique chronique. Dissolutions, démissions, élections anticipées, mises en minorité. Une tectonique des plaques politiques épuisante pour un pays…  

Excepté le très populaire Junichiro Koizumi, resté premier ministre de 2001 à 2006, aucun gouvernement n’est resté plus de 12 mois au pouvoir. Nul autre pays d’Asie n’a connu pareille instabilité gouvernementale ces dernières années. L’instabilité a les défauts de ses qualités : l’impossibilité d’inscrire toute politique dans la durée, mais pas le temps non plus d’être désavoué complètement. D’où une classe politique inébranlable qui mène un train de sénateurs.

LA POLITIQUE AUX MAINS DES CACIQUES

Arrivé en terrain miné, avec la lourde tâche de sortir le pays de sa plus grave récession depuis la seconde guerre mondiale, Naoto Kan –l’actuel premier Ministre- perd en juin 2010 sa majorité ferme.

En décembre dernier, un trimestre avant le drame du 11 mars, la côte de popularité du Premier ministre est au plus bas : 23,6 % des personnes sondées avaient une opinion favorable de leur chef de gouvernement. De quoi consoler Sarkozy…
Mais la gestion de la série de catastrophes qui touche le Japon met le Premier ministre japonais dans une position très délicate. 

Interrogé par Marianne2.fr, Jean-François Sabouret, auteur de Japon, La fabrique des futurs en proposait une analyse « Le parti libéral a perdu les élections il y a un an et demi mais, je pense qu’ils sont en train de les regagner à la faveur de cette catastrophe. Il y a eu beaucoup d’élections locales récemment plutôt favorables aux libéraux, notamment le gouverneur de Tokyo dont on ne savait pas s’il allait se représenter et qui a été réélu triomphalement. C’est d’ailleurs assez « amusant ». Ce sont eux qui ont fait la politique nucléaire au japon. Le parti de centre gauche a hérité de cette situation dont il n’est pas responsable. La politique nucléaire japonaise a  été élaborée dans les années 60, de manière très opaque avec des caciques de la haute administration de l’Université de Tokyo qui sont ensuite allés pantoufler dans les centrales nucléaires ». 

Démonstration du mode de gouvernement japonais qualifié parfois de « Japan Inc » : le gouvernement a en réalité peu de pouvoir, mais les décisions sont prises au sommet de l’Etat par une coalition d’experts, bureaucrates, politiques, chefs des grandes entreprises, lobbys etc.

Selon le dernier sondage en date, la plupart des citoyens japonais ne suivent plus Naoto Kan dans sa gestion de crise, qui hormis une communication désastreuse, gère la crise tant bien que mal.
La plupart des personnes interrogées considèrent que le chef du gouvernement n'a pas réussi à se montrer efficace. 58% des sondés avouent ne pas faire confiance aux informations officielles sur l'accident de Fukushima.Pour le New-York Times, la crise a révélé la faiblesse de la classe politique japonaise, et sa façon de gouverner qui « manque de continuité » et qui fait preuve « d'inexpérience ».
Analyse en partie injuste tant les responsabilités, la rétention d’informations, le manque de transparence, incombent avant tout au géant Tepco.

LE PREMIER MINISTRE INTERPELLÉ PAR DES RÉFUGIÉS MÉCONTENTS

Au moment de la victoire politique des démocrates, Gerald Curtis, politologue, spécialiste du Japon affichait sa prudence : « un changement de culture politique est en cours. Mais, plus que les institutions, ce sont les hommes qui comptent : si les démocrates ont les bonnes personnes, ils peuvent réussir. Sinon... ». C’était sans compter la violence des éléments et des événements. 

Car les maux de la politique japonaise semblent encore plus profonds. 

Condamnés à « supporter l’insupportable », les japonais vivent sur des sables politiques mouvants. Une instabilité du politique qui renvoie curieusement à l’instabilité des sols, l’absence de socle ferme et solide qui permettrait de s’inscrire dans la durée, d'élever le niveau des débats politiques : « On vit dans un monde mouvant, on vit dans un monde fragile, dans un monde ô combien imprévisible, c’est ça la pensée profonde japonaise » expliquait encore  Jean-François Sabouret dans une interview récente à Libération.

Plutôt enclins à l’unité nationale, des indices démontrent que la colère gagne peu à eu la population. Le gouvernement Kan est de plus en plus pointé du doigt par les médias locaux et les partis d’opposition pour sa gestion de la crise. Le Mainichi Daily News rapportait le 22 avril, comment le premier Ministre avait été reçu lors de sa visite de centres pour réfugiés : « certains réfugiés en colère ont eu des mots durs envers le premier Ministre » écrit le journal qui cite certaines des interpellations : « Nous avons été patients jusque là, mais nous sommes à la limite ». Après avoir passé 10 minutes dans un gymnase, un habitant a lancé : « vous partez déjà ? Vous devriez essayer de vivre ici ! ». Face à la colère et l'exaspération des habitants réfugiés dans le gymnase, Naoto Kan est resté une heure supplémentaire, bousculant son emploi du temps.  

Un épisode qui dit combien la partie est tendue dans un pays peu habitué à la contestation : « Déjà on sent monter au niveau local et associatif un mécontentement. On sent qu'il va y avoir des règlements de comptes, mais il est difficile de savoir si cela entraînera un changement politique »s'interroge Pierre-François Souyri, historien du Japon,   « Le Japon n'est pas un pays où l'on descend dans la rue pour manifester. Mais cela va peut-être donner naissance à des mouvements civiques, qui peuvent jouer un rôle considérable de lobby ou d'antilobby ».

Mardi 26 Avril 2011
Régis Soubrouillard - Marianne