Jeremy Rifkin, essayiste américain, conseiller de nombreux gouvernements européens et d'ONG environnementales, préside la Foundation on Economic Trends aux Etats-Unis.  

LE MONDE MAGAZINE | 15.04.11 

Quelques jours avant le sommet du G20, «Policy Network» tient une importante réunion au Chili: l'occasion pour les principaux leaders internationaux de centre gauche de faire entendre leur vision de l'avenir, au moment où la période de croyance néo-libérale dans le laissez-faire est bel et bien terminée.

«Policy Network» est un «think tank» international dont l'ambition de promouvoir les idées progressistes et le renouveau de la social-démocratie en organisant l'échange de points de vues et d'expériences entre hommes politiques, décideurs et experts de centre gauche.

Slate.fr publie une série de tribunes (que l'on peut télécharger ici, en anglais et espagnol) rédigées par les participants à ce sommet.

«LA CRISE FINANCIERE MONDIALE a ébranlé jusqu'aux fondations de nos systèmes économiques. Elle a démontré que nos modèles de croissance économique, basés sur une consommation de grande ampleur et l'utilisation excessive de ressources limitées, ne sont plus viables. Il est temps aujourd'hui de nous orienter vers de nouveaux modes de production. Pour sortir de la crise, il faut lancer la troisième révolution industrielle, qui nous conduira aussi vers une économie plus durable pour l'avenir.

Cette révolution se fera en créant des systèmes décentralisés d'utilisation d'énergies renouvelables. Les mêmes principes de conception et de technologies intelligentes qui ont rendu Internet possible commencent à être utilisés pour reconfigurer les grilles énergétiques mondiales, afin que les gens puissent produire et partager l'énergie renouvelable, tout comme ils produisent et partagent déjà les informations. Les quatre piliers de la troisième révolution industrielle sont les suivants :

Premier pilier: l'énergie renouvelable

Les formes renouvelables d'énergie - solaire, éolienne, hydroélectrique, géothermique, des vagues et biomasse - joueront un rôle clé dans la nouvelle économie. Les dirigeants progressistes doivent fixer des objectifs dans le domaine de l'énergie renouvelable et mettre en route le processus d'élargissement à grande échelle de la proportion d'énergie renouvelable dans le total énergétique de leurs économies.

Deuxième pilier : des bâtiments jouant le rôle de centrales énergétiques positives

Nous disposons d'énergie renouvelable et de nouvelles technologies pour l'exploiter à moindre coût et plus efficacement, mais il nous manque les infrastructures pour la charger.

Les dirigeants progressistes doivent s'assurer que des millions de bâtiments - foyers, bureaux et autres édifices - sont rénovés ou construits pour servir à la fois de centrales électriques et d'habitats. Ces bâtiments collecteront et généreront de l'énergie localement grâce au soleil, au vent, aux détritus, aux déchets agricoles et forestiers, aux vagues de l'océan et aux marées, à l'eau et à la géothermie - suffisamment pour satisfaire à leurs propres besoins, et dont le surplus pourra être partagé.

Troisième pilier : le stockage de l'hydrogène

Afin de maximiser l'utilisation et de minimiser les coûts, il sera nécessaire de mettre au point des méthodes de stockage qui facilitent la conversion des réserves intermittentes de ces sources d'énergie en provisions fiables. Si les batteries, les mécanismes différentiés de pompage de l'eau et d'autres moyens fournissent des capacités limitées de stockage, l'hydrogène est le moyen universel capable de "stocker" toutes les formes d'énergie renouvelable pour assurer un approvisionnement stable. Les dirigeants doivent œuvrer à la mise en place d'initiatives de recherche et de technologie pour accélérer le processus d'introduction commerciale des technologies de l'hydrogène.

Quatrième pilier : les «smart grids» et les véhicules électriques

Il faut reconfigurer les réseaux en suivant le modèle d'Internet, pour permettre aux entreprises et aux propriétaires de logements de produire leur propre énergie et de la partager. Les nouveaux réseaux intelligents, ou «intergrids», vont révolutionner la manière de produire et de fournir l'électricité. L'électricité produite pourrait aussi être utilisée pour alimenter des voitures électriques ou des véhicules électriques à pile à combustible. Les véhicules électriques, à leur tour, serviront aussi de centrales électriques portables capables de revendre de l'électricité au réseau principal. Tout comme les technologies des réseaux informatiques de deuxième génération permettent aux entreprises de connecter des milliers d'ordinateurs entre eux, créant une puissance informatique décentralisée bien supérieure à celle des ordinateurs centralisés les plus puissants existants, des millions de producteurs locaux d'énergie renouvelable, dotés d'un accès à des réseaux utilitaires intelligents, peuvent potentiellement produire et partager bien plus d'énergie décentralisée.

La mutation vers l'infrastructure de la troisième révolution industrielle nécessitera des engagements financiers massifs publics et privés. La conception de cette nouvelle infrastructure coûtera des centaines de milliards de dollars. Cela peut paraître difficile en temps de crise, mais il est encore plus essentiel de remettre nos économies sur les rails. Ceux qui soutiennent que nous n'en avons pas les moyens vont devoir expliquer comment ils pensent faire repartir une économie mondiale criblée de dettes dépendant d'un régime énergétique défaillant.

La troisième révolution industrielle apportera avec elle une nouvelle ère de «capitalisme décentralisé» dans laquelle des millions d'entreprises, existantes et à venir, et de propriétaires deviendront des acteurs énergétiques. Ce faisant, nous créerons des millions d'emplois verts et augmenterons la productivité de façon spectaculaire, tout en atténuant le réchauffement climatique.

Jeremy Rifkin

Traduit de l'anglais par Bérengère Viennot