SuperNo - Blogueur associé Marianne | Vendredi 8 Avril 2011
Les 21 interventions du Contre-Grenelle 3 (qui s'est tenu samedi 2 avril
dernier à Vaulx-en-Velin) ont été vraiment très variées. Historien, sociologue,
politologue, économiste, enseignant, philosophe, géographe, médecin,
journaliste, écrivain, éditeur, paysan, artiste… et ingénieur ! (1)
Il se trouve que ma sensibilité s'accorde bien avec le discours de ces
derniers, surtout quand ils sont clairs et vulgarisateurs. Tel était assurément
le cas de Philippe Bihouix, centralien, spécialiste des métaux, et qui après
avoir notamment travaillé chez Bouygues, est désormais directeur de
la filiale logistique de la SNCF, Geodis. Un parcours
qui n'est en rien décroissant, mais au cours duquel il a certainement été aux
premières loges pour prendre conscience de la réalité. C'est d'autant plus
méritoire que d'autres sont sans doute dans la même position, mais s'en foutent
complètement tant qu'ils ont un boulot valorisant, un gros salaire et la
perspective d'un gros paquet de stock options qui les met de toute façon à l'abri
pour le restant de leurs jours.
Avant de reprendre le détail de son intervention, je tiens à évoquer le sujet
qui est « la mère de tous les autres » : le pic de pétrole.
Cela fait 4 ans que je vous abreuve, voire que je vous saoule avec ça, mais les
faits sont têtus : il semble désormais admis par tout le monde que le pic s'est
probablement déjà produit, diverses sources citent l'année 2010, et que
désormais, donc, le compte à rebours est engagé, avec son lot de drames
probables.
Il y a encore quelques divergences sur la suite du scénario. Les plus
optimistes voient la production se maintenir quelques années au niveau actuel
avant d'entamer son inexorable déclin, d'autres voient ce déclin commencer
rapidement… A la limite peu importe, le plus important est que tous les gens
raisonnables considèrent que la production mondiale de pétrole aura baissé de
moitié par rapport à la production actuelle entre 2025 et 2030. Et qu'il n'y en
aura plus, ou tout comme, d'ici 2050.
Comme notre prospérité est, bien plus qu'on le croit, assise sur le pétrole (il
ne sert pas qu'aux bagnoles, aux camions, aux bateaux, aux avions, au chauffage
et à la production d'électricité, même si c'est déjà beaucoup, mais il est
également indispensable pour faire du plastique, des engrais, des médicaments…
etc.)
Les politiciens qui continuent à promettre de la « croissance® » à tout va et
persistent à baser leur politique dessus sont prévenus : ce sont donc au choix
des menteurs ou des irresponsables, l'un n'excluant pas l'autre.
J'en étais donc là de ma réflexion lorsque j'ai entendu Philippe Bihouix. Et ce
qu'il a raconté m'a achevé.
Il a commencé son intervention en parlant de la terre arable. (Pas « arabe »,
hein, Guéant, «arable »). La terre qui sert à faire pousser des
plantes qui nous nourrissent, ou qui nourrissent les animaux dont nous nous
nourrissons. Ben oui, la terre, qui se transforme en boue quand il pleut.
Figurez-vous qu'en France, en l'espace de 10 ans, nous avons englouti 1% de son
étendue, soit la surface d'un département. Le responsable, c'est ce qu'on
appelle « l'étalement urbain ». Facilement observable lorsque comme moi on
habite à la lisière d'une agglomération : en quelques années, les champs
disparaissent, remplacés par des routes, centres commerciaux, marchands de
bagnoles, supermarchés hard-discount, lotissements, entrepôts, entreprises… La
ville s'étale, la terre disparaît.
Et ce n'est pas tout, la terre est aussi naturellement érodée par la pluie et
le vent, et sa « vie intérieure » détruite par les saloperies de l'agrochimie.
Nous « mangeons » une tonne de terre pour une tonne de nourriture produite : à
ce rythme, il en reste pour une durée de 25 à 75 ans…
Ensuite ? On devra cultiver « hors sol », comme les tomates d'Almeria… Putain,
qu'est-ce qu'on va se régaler ! D'autant que la culture hors-sol nécessite bien
plus d'énergie, énergie qu'au risque de me répéter nous n'aurons plus.
Vous êtes proches de la nausée ? Allez vite chercher un sac en papier, car ce
n'est pas fini. Philippe Bihouix est un spécialiste des métaux, il a même
co-écrit un livre sur le sujet, il ne pouvait pas
laisser passer l'occasion d'en parler. En bref, pour bon nombre de métaux,
c'est un peu comme pour le pétrole : l'affaire de quelques dizaines d'années
tout au plus. C'est logique : les métaux sont comme le pétrole : ce sont des
ressources non renouvelables, que l'on pille avec un acharnement absolu depuis
une durée ridiculement faible en regard de l'histoire humaine, et qui vont donc
disparaître avec notre génération.
Chaque métal aura donc son pic. Tiens, par exemple l'or a déjà passé le sien.
Ça ne s'est pas vu, car l'or dort davantage dans les coffres des banksters ou
sous le matelas de Madame Bettencourt qu'il n'est utilisé dans l'industrie, et
qu'il y a de très gros stocks. Mais si Philippe Bihouix vous dit qu'il ne reste
que 10 à 20 ans de production pour l'antimoine, le zinc ou l'étain, et de 30 à
60 pour le nickel ou le cuivre, ça vous fait quoi ? Pire, comme pour le
pétrole, ce qui reste est de plus en plus difficile à extraire. En 1930, le
minerai de cuivre en contenait 1.8%, aujourd'hui c'est 0.8. On imagine aisément
qu'il faut donc 2 fois plus d'énergie pour le produire, et que ça coûte
beaucoup plus cher.
Les bisounours vous diront : bah, le métal, ça peut se recycler ! En partie,
oui, mais que faites-vous du métal incorporé dans une peinture, par exemple ?
Du zinc en fine couche qui sert à protéger l'acier ? Du platine utilisé comme
catalyseur chimique ? Du cuivre de la bouillie bordelaise ? Sans parler des
alliages… Et ce serait également oublier que recycler le métal nécessite
beaucoup d'énergie, denrée que nous n'aurons plus non plus… Et d'autant moins
que le nucléaire vient de se discréditer définitivement.
Un
bisounours, ça ne rend pas facilement les armes. Aiguillonné par un Allègre, ça
peut même donner des idées assez extravagantes : « Bah, yaka mettre
plein de panneaux solaires dans le Sahara, et voilà ! ». Philippe
Bihouix s'est amusé à faire le calcul. Alors oui, en théorie, on peut utiliser
une partie du Sahara pour produire suffisamment d'électricité pour le monde
entier. Seulement voilà, il y a quelques « détails » qui clochent : pour ce
faire, il faudrait environ 2000 ans de la production actuelle de panneaux
solaires… Qui seront d'ailleurs foutus au bout de 40 ans, il faudra donc tout
recommencer… Et construire un panneau solaire, ça nécessite des métaux
(gallium, indium, selenium, cadmium, tellure), de l'énergie, beaucoup
d'énergie… Vous voyez le problème ?
Autre problème, que Philippe Bihouix n'a pas signalé, sans doute tenu par ses
10 minutes, c'est qu'il n'est pas très malin de concentrer en un seul lieu une
usine de production d'énergie dont dépendrait l'avenir de l'humanité… Imaginez
qu'un malfaisant (Un Ben Laden, un Saddam, un Kadhafi, un Ahmadinejad ou un
<mettez ici le nom du méchant qui vous fait le plus peur>) s'amuse à
balancer allègrement bombes et missiles sur la zone, vous voyez la cata ?
Le même raisonnement s'applique si on remplace « panneau solaire » par «
éolienne ». Savez-vous qu'il faut 3 tonnes de cuivre pour faire une éolienne
moyenne ?
Plus d'énergie, plus de terre, plus de métaux : n'importe quel gamin de moins
de 5 ans, même un peu demeuré, arriverait évidemment à la conclusion que nous
allons droit dans le mur. Il semble donc que ceux qui nous dirigent soient plus
cons que des gamins de 5 ans. Aveuglés par la « nécessité » de préserver par
dessus tout les intérêts des banksters et des multinationales,
ils font comme s'il n'y avait pas de problème. Pire, ils disent que c'est dans
notre intérêt : en dessous de 2% de la sacro-sainte croissance, « notre
économie ne crée plus d'emplois »®. Le prix du pétrole augmente ? « Bah,
c'est une simple crise, c'est la spéculation, ça passera ».
Et puis, « yaka acheter une bagnole qui consomme moins ». Et
puis, quand y'aura plus de pétrole, « yoraka acheter une voiture
électrique ». A ce sujet, rappelons que l'estimation du pourcentage de
voitures électriques à l'horizon 2020 est d'environ… 3%. Pas de doute, nous
sommes sauvés ! Les métaux, la terre : personne n'en parle en dehors du
Contre-Grenelle. Mais putain, il faut se réveiller, bordel, il y a un mur en
face de nous, et on fonce droit dedans en klaxonnant !
Que faire pour sortir de ce merdier ? Toute la classe politique française, de
l'UMP au P« S », en passant par le « Centre », le FHaine, le PCF ou même Lutte
Ouvrière, ne jure que par la « Croissance® ». Chez les « Verts » de Cohn-Bendit
, on souhaite la « croissance verte ». Il y a sans doute
quelques politiciens plus clairvoyants ou moins irresponsables au NPA ou au
Parti de Gauche qui ont compris le problème. Je doute toujours qu'ils soient
majoritaires.
La solution, personne n'en sera supris, a pour préalable la sortie du cercle
infernal de la « croissance ». Et ça urge ! Comme on l'a vu, pas plus tard que
dans une génération, la donne aura complètement changé.
Philippe Bihouix emploie une métaphore automobile, celle du « survirage ».
Dans certaines bagnoles en effet, il suffit de donner un petit coup de volant
et un petit coup de frein pour que la bagnole amplifie d'elle-même le
mouvement, modifie sa trajectoire et amorce un tête à queue qui à la fois la
freine, évite un obstacle et la remet dans le bon sens.
Pour la terre arable, il n'y a pas à tortiller : « un moratoire
immédiat et absolu doit être décrété sur l'artificialisation des sols :
autoroutes, routes, parkings, nouvelles friches industrielles ou "zones
d'activités", voies ferroviaires à grande vitesse, lotissements, doivent
être bannis ».
« il faut donc repenser les objets, pour augmenter considérablement
leur durée de vie, (les rendre réparables ou réutilisables), pour faciliter
leur recyclage en fin de vie, pour n'utiliser qu'avec parcimonie les ressources
les plus rares. Ici, le "c'était mieux avant" prend tout son sens. »
Il est évident que c'est exactement l'inverse, l'obsolescence organisée par le
marketing, qui est la réalité.
« On utilise des aciers alliés toujours plus complexes dans les
voitures pour gagner un peu de poids et quelques grammes de CO2 émis par
kilomètre, alors qu'il suffirait de réduire la vitesse maximale à 90 km/h pour
gagner 30 à 40%… Sans parler d'enfourcher son vélo, bien sûr... »… Et
sans parler de transports en commun, de covoiturage ou de télétravail…
« Si on baisse la demande en matières premières par exemple, on
accélérera la baisse de la demande énergétique ; l'agriculture biologique pour
conserver la productivité des sols diminuera les besoins en intrants, et en
conséquence en énergie ; la restauration des sols et des rendements baissera la
pression sur les forêts tropicales etc. »
« Tournons le volant par un ensemble de mesures cohérentes
(réglementaires, fiscales, douanières), et tout pourrait s'enchaîner très
rapidement. »
« Il faudra par contre des mesures exceptionnelles sur les questions
sociales, car on ne pourra effectivement supprimer très vite les nombreuses
activités industrielles et commerciales nuisibles qu'à condition d'assurer les
moyens d'existence des gens en place et une équitable répartition des efforts. »
Il ne reste plus qu'à trouver des dirigeants qui adopteront ce programme… Et ce
sera certainement le plus difficile… Hé, m'sieur Bihouix, vous ne feriez pas de
politique, par hasard ?