Vous voulez revenir sur les leçons à tirer de l'accident nucléaire de la centrale de Fukushima. Et pas simplement sur le plan du nucléaire.

Oui, mais commençons tout de même par le nucléaire. Cette technologie avait plutôt le vent en poupe ces dernières années : elle portait en effet les espoirs de tous ceux qui espéraient pouvoir continuer à vivre comme avant, tout en émettant moins de gaz à effet de serre. Après un passage à vide de vingt-cinq ans consécutif à l'explosion de la centrale de Tchernobyl en 1986, les fabricants commençaient à y croire de nouveau. Les vaillants commerciaux d'Areva, appuyés par le président de la République, n'avaient même pas hésité à proposer des centrales à notre ex-ami Muammar Kadhafi…

Oui, mais Fukushima a rappelé combien le nucléaire reste intrinsèquement risqué.

En effet, quelles que soient les précautions prises, les centrales restent à la merci d'erreurs humaines et de circonstances imprévues avec, à la clé, des conséquences incalculables. La France n'est pas le Japon et les tremblements de terre comme les tsunamis y sont plus rares, mais il avait suffi de la tempête de 1999 pour que la centrale du Blayais, en Gironde, frôle la catastrophe. Et les contrôles effectués ces derniers jours ont montré que dans de nombreuses centrales, les groupes électrogènes censés prendre le relais en cas de coupure d'électricité pour refroidir les réacteurs n'étaient pas en état… Bref, Fukushima confirme, s'il en était besoin, qu'il y a tout lieu de se défier d'une technologie si difficile à maîtriser et si susceptible de détournements militaires ou terroristes.

OK, le nucléaire a du plomb dans l'aile, mais vous vouliez tirer aussi d'autres conséquences de cette affaire.

En effet, cette crise intervient à un moment où la hausse des prix du pétrole et des produits agricoles avait déjà commencé à déstabiliser le monde. Ces hausses montraient l'ampleur du défi d'ores et déjà posé à l'humanité par la raréfaction des ressources dans un contexte où les pays émergents commencent à accéder au même mode de vie que nous. Tandis que la multiplication des tempêtes et autres cyclones traduisait probablement l'accélération du changement climatique. Dans ce contexte, cette crise doit tenir lieu de Pearl Harbour écologique : elle doit servir à catalyser toutes les énergies pour se lancer enfin, et sans barguigner, dans la conversion écologique de nos économies.

On n'en prenait pas vraiment le chemin ces derniers temps.

Oui. La réaction à l'électrochoc doit être d'autant plus importante que la crise économique nous avait au contraire tirés dans la direction inverse. Au cœur de la crise, les Etats ont soutenu les industries existantes, subventionnant en particulier massivement l'automobile. Et dans la phase actuelle, ils cherchent au contraire à réduire leurs dépenses, sacrifiant plus volontiers celles destinées à préparer un avenir écologique soutenable que celles qui risquent de leur aliéner les électeurs d'aujourd'hui. On s'en est rendu compte en France avec les multiples accrocs faits ces derniers mois aux engagements pris lors du Grenelle de l'environnement, à l'automne 2007. C'est cette dynamique négative que Fukushima doit nous amener à inverser d'urgence.